18/07/2025 ssofidelis.substack.com  6min #284554

 Gaza : le cessez-le-feu et le projet israélo/us d'un méga camp de concentration

Le macabre projet de réduire Gaza « à un camp de concentration »

Images satellites du quartier de Tal az-Zohour : à gauche, le 4 mars et après le 7 avril. Source photo © Planet Labs

 Yvonne Ruffio

Par  Binoy Kampmark, le 18 juillet 2025

L'idée monstrueuse d'un camp dans un camp. La bande de Gaza abrite une concentration encore plus élevée de civils palestiniens sur un territoire qui ne cesse de rétrécir. Voici les propositions avancées par le gouvernement israélien, alors que le bilan officiel des morts palestiniens s'élève à 60 000. Le gouvernement envisage de déporter quelque 600 000 personnes déplacées et sans abri, actuellement réfugiées dans des tentes, dans la région d'Al-Mawasi, le long de la côte sud de Gaza, pour les parquer dans une "ville humanitaire" aux allures de camp de concentration. Cette "ville humanitaire" serait le prélude à une réinstallation définitive de l'ensemble de la population de la bande de Gaza, soit plus de 2 millions d'habitants, dans une zone prison encore plus exiguë que l'enclave actuelle.

Les préparatifs de ce déplacement forcé, le dernier d'une longue série infligée par Israël aux Palestiniens, sont pleinement engagés. L'analyse d'images satellites par le Centre des Nations unies pour les technologies de l'information et de l'espace (UNOSAT) et l'unité d'investigation Sanad d'Al Jazeera a révélé que 12 800 bâtiments ont été rasés à Rafah entre début avril et début juillet. Le 11 mai dernier, le Premier ministre Benjamin Netanyahu  a mis des mots sur ces agissements à la Knesset :

"Nous détruisons chaque jour davantage de logements et autres bâtiments, ils n'ont plus nulle part où retourner. La seule issue évidente pour les Gazaouis ne pourra être que l'émigration hors de la bande de Gaza".

Les centres de détention, ou camps de concentration, sont souvent présentés sous un jour différent de ce qu'ils sont réellement. Les États autoritaires s'en servent pour prétendument éduquer et convertir les détenus, tout en les tuant à petit feu. En effet, les propositions du ministère israélien de la Défense prévoient la  création d'une

"zone de transit humanitaire" dans laquelle les Gazaouis pourraient "résider temporairement, se déradicaliser, se resocialiser et se préparer à partir s'ils le souhaitent".

Le terme "humanitaire" dans un tel contexte relève du non-sens et se réfute lui-même, à l'instar d'autres expériences inhumaines, comme la relocalisation des civils boers durant les guerres coloniales menées par la Grande-Bretagne, dans des camps où régnaient dysenterie et famine, le transfert des villageois vietnamiens dans des hameaux fortifiés pour éviter leur infiltration par les Vietcongs dans les années 1960, et la création de camps de concentration dans le Pacifique pour interner les réfugiés qui tentaient de rejoindre l'Australie par la mer, dans le cadre de ce qui a été qualifié de "solution pacifique".

Tous ceux qui se consacrent à l'action humanitaire ont naturellement été horrifiés par les derniers projets d'Israël. Philippe Lazzarini, directeur de l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), a déclaré

"qu'une telle opération créerait de facto des camps de concentration surpeuplés à la frontière avec l'Égypte où seraient parqués les Palestiniens, déplacés à maintes reprises au fil des générations". Cette mesure "privera assurément les Palestiniens de toute perspective d'un avenir meilleur dans leur patrie".

Cet objectif est malheureusement on ne peut plus évident.

Quelques anciens Premiers ministres israéliens ont revu leur jugement en examinant les plans d'une zone aussi mal nommée. Yair Lapid, ancien Premier ministre n'ayant passé que six mois au pouvoir en 2022, a  déclaré à la radio de l'armée israélienne que ce projet serait "une mauvaise idée à tous points de vue : sécuritaire, politique, économique et logistique". Bien qu'il préfère ne pas qualifier une telle opération de "camp de concentration", l'incarcération de populations entières privées de toute liberté de mouvement justifie pourtant l'utilisation du terme.

Ehud Olmert n'a pas non plus ménagé ses  propos dans une interview accordée au journal The Guardian. "Si les Palestiniens sont déportés dans la nouvelle 'ville humanitaire', il s'agira alors clairement d'un nettoyage ethnique". La création d'un camp destiné à "épurer" plus de la moitié de la population de Gaza ne saurait être considérée comme un plan de sauvetage des Palestiniens.

"Il s'agit de les déporter, de les expulser, de les exiler. Tel semble être le plan".

Le chroniqueur politique israélien Ori Geller a également été extrêmement direct en  qualifiant ce plan de

"camp de concentration à tous égards" pour les Palestiniens de Gaza, "un crime flagrant contre l'humanité au regard du droit international humanitaire".

Ces propos viennent corroborer les arguments déjà invoqués dans l'action en justice intentée ce mois-ci par trois soldats de réserve israéliens devant la Cour suprême d'Israël, qui contestent la légalité de l'opération "Gideon's Chariots". Citant de nombreux exemples de transferts forcés et d'expulsions de la population palestinienne durant les différentes phases de l'opération, des personnalités comme l'ancien chef d'état-major de l'armée israélienne, Moshe "Bogy" Ya'alon, ne mâchent pas leurs mots quant à la légalité de tels agissements au regard du droit international.

"Évacuer toute une population ? Appelez cela nettoyage ethnique, transfert, déportation, cela reste un crime de guerre", a-t-il déclaré à la journaliste Lucy Aharish. "Les soldats israéliens se sont vus ordonner de commettre des crimes de guerre".

On observe également une certaine réticence au sein de l'armée israélienne, moins pour des raisons humanitaires que pratiques. Le simple fait d'élaborer un tel plan en pleine négociation d'un cessez-le-feu durable pour résoudre la question des otages est déjà révélateur. D'autre part, l'armée israélienne se trouve face à la difficulté de mener à bien cette vaste opération concentrationnaire tout en luttant contre de possibles infiltrations du Hamas.

Cette initiative effroyable du gouvernement de Netanyahou s'appuie en grande partie sur un vœu pieux. Idéalement pour Israël, les Palestiniens sont censés partir, tout simplement. Sinon, ils se verront imposer des conditions de vie encore plus inhumaines qu'avant octobre 2023. Mais faire croire que cette mesure humanitaire, qui dissimule un programme macabre de souffrances intentionnelles, contribuera à renforcer la sécurité d'Israël, déjà ruinée, témoigne de l'aveuglement et du degré de panique du Premier ministre israélien et des membres de son cabinet.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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